LA CSRD POUR LES NULS – Interview Directeur fonction IT

Analyse - Marché

Dominique Bossard a travaillé durant 7 ans comme Directeur des Systèmes d’Information de Mutex, filiale du groupe VYV et acteur mutualiste de santé et de protection sociale. En février 2024, il a rejoint le groupe Henner, entreprise d’assurance santé comme DSI.

Dominique BOSSARD
Florence de Nadaï pour Procadres : la CSRD est-elle un sujet nouveau pour la fonction IT ?

Dominique Bossard : en fait, mon cas est un peu particulier car l’aventure CSRD a commencé pour moi bien avant sa mise en œuvre en janvier dernier, lorsqu’il m’a été demandé de travailler sur le plan stratégique de Mutex 2020 – 2025. À cette époque, la RSE était peu préemptée au sein de cette entreprise. Interpellé par les sujets environnementaux et sociétaux, je suis parvenu à convaincre la Directrice générale de leur importance et je me suis retrouvé responsable de la RSE et de son intégration dans notre plan stratégique, en plus de ma « casquette IT ». Certes la DPEF existait déjà. Néanmoins, il faut être honnête, peu d’importance lui était donnée faute d’obligations fortes et de pénalités financières significatives. Ce document sert malheureusement trop souvent à verdir la communication des entreprises. Au-delà, elle pose un vrai problème de pertinence des informations déclarées. La simple lecture des données disponibles sur la place est très éclairante : pour les entreprises d’un même secteur, les déclarations extra financières sont très variées et insuffisamment comparables entre elles.

 

FdN : alors, comment avez-vous engagé la démarche RSE qui correspondait à vos attentes ?

DB : pour cadrer au mieux la dynamique RSE, j’ai engagé l’ensemble des collaborateurs de Mutex dans la démarche ISO 26000 de l’AFNOR. Cette démarche nous a permis de définir 3 axes et 11 engagements :

  • Un premier orienté Business : en quoi notre offre de prévoyance en BtoB et BtoBtoC était-elle compatible avec la RSE ? En quoi étions-nous inclusifs ? En quoi donnions-nous accès à une prévoyance socialement responsable ?
  • Un deuxième orienté Responsabilité Environnementale : les grands groupes d’assurance placent en bourse des montants importants. Les questions étaient les suivantes : quel était notre véritable impact environnemental si l’on incluait celui de nos participations boursières ? Étions-nous réellement engagés dans une dynamique compatible avec les Accords de Paris qui visent à contenir la hausse des températures à un maximum de 1°C en 2050 sur nos scopes 1, 2 et 3 ?
  • Le troisième orienté Social : en quoi Mutex était-il un employeur responsable socialement ? Quels étaient les impacts sociaux de nos décisions au sein de l’entreprise et sur notre réseau de distribution ? Étaient notamment inclus les collaborateurs en difficulté, en situation de handicap ou par exemple des femmes victimes de violences conjugales, …

Aujourd’hui, il est certain que ce travail réalisé dans le cadre de la définition de la stratégie 2020 – 2025 permet à Mutex de bénéficier d’une longueur d’avance s’agissant de la mise en œuvre de la CSRD.

 

FdN : quelles sont les principales exigences de la CSRD vis-à-vis des entreprises du secteur assurantiel que vous souhaiteriez évoquer ?

DB : la première exigence imposée par la CSRD concerne la réalisation d’une l’analyse de double matérialité. A savoir en quoi l’entreprise est-elle impactée par les problématiques environnementales et sociétales, et en quoi mon entreprise impacte-t-elle ces deux dimensions, sur des sujets identiques à toutes les entreprises et avec l’obligation de fournir des données qui soient justes puisqu’elles devront être certifiées.

L’autre exigence concerne l’étendue du champ à prendre en considération. À titre d’exemples, la CSRD via l’architecture ESRS s’intéresse au changement climatique, à la pollution, à l’eau, à la biodiversité … Concernant l’empreinte carbone, il va de soi que l’ensemble des 3 scopes sera à considérer. Les entreprises vont notamment devoir ajouter à leur propre empreinte carbone celles de leurs fournisseurs, des entreprises dans lesquelles elles ont investi … Un assureur qui, par exemple, a investi dans TotalEnergies, Eni ou tout autre acteur du secteur pétrolier risque d’avoir un scope 3 global beaucoup plus élevé que s’il avait investi dans des entreprises moins émettrices de CO2.

Investir dans des entreprises financièrement performantes mais fortement émettrices de CO2, ou investir dans des entreprises moins performantes mais moins fortement émettrices de CO2 : les dirigeants vont devoir se préparer à bien argumenter leur choix, y compris auprès des actionnaires de l’entreprise.

Au-delà, il ne faut pas oublier que la CSRD est une obligation. Toutes les entreprises devront y répondre.

Enfin, la réduction de nos impacts sur le vivant imposera des changements plus ou moins forts selon les secteurs d’activités. Il est évident que l’industrie aura plus d’efforts à fournir (changements technologiques …) que d’autres secteurs liés aux services et au tertiaire. Des choix potentiellement difficiles seront à opérer, c’est certain, pour ne pas compromettre définitivement notre avenir sur la jolie planète bleue.

 

FdN : si l’on se recentre sur l’IT, quel est le principal impact de cette fonction sur l’empreinte carbone d’une entreprise ? Quelles décisions prendre pour la réduire ?

DB : le principal sujet de l’IT concerne le matériel, les ordinateurs et les téléphones qui nécessitent des matériaux rares pour leur fabrication et sont renouvelés parfois plus que nécessaire par les entreprises.

Les premières décisions que doit prendre la fonction IT pour réduire son empreinte carbone est de réduire le changement des matériels, les faire réparer en cas de panne, acheter des produits recyclés et adapter le fonctionnement des serveurs aux besoins effectifs de l’entreprise.

Autre action responsable : purger les boîtes mails et nettoyer les serveurs des contenus trop anciens pour être encore utiles, arrêter les services non utilisés et entrer dans une logique de frugalité digitale…

 

FdN : quels sont les impacts du dérèglement climatique sur les équipements IT ?

DB : de nombreuses entreprises ont encore une partie de leurs données hébergées sur leurs propres datacenters ou serveurs physiques … Une canicule sévère combinée à une panne de climatisation et c’est tout ou partie des services qui risque d’être hors service. Soit un risque opérationnel fort pour l’entreprise. L’augmentation des risques induits par des pics de chaleur et événements climatiques plus fréquents et plus intensifs est à prendre en compte !

Outre celui associé au climat, d’autres risques doivent être pris en considération s’ils sont jugés matériels pour l’entreprise. Parmi eux : le risque géostratégique qui peut induire une raréfaction plus grande encore des métaux rares, des ruptures d’approvisionnement matériel ou énergétique.

 

FdN : accompagner les collaborateurs dans le changement est nécessaire. Quelles sont les actions mises en œuvre pour leur faire adopter un comportement plus responsable ?

DB : avant la mise en œuvre de la stratégie 2020 – 2025, du fait d’une sensibilité moindre en interne à la RSE, peu d’actions avaient été mises en place sur ce sujet. Pour faciliter la mise en œuvre du plan stratégique, notamment sur ces enjeux, nous avons déployé un programme de sensibilisation et de formation dédié. Parmi nos objectifs : faire comprendre aux collaborateurs ce qu’était un bilan carbone, comment le calculer, quelles étaient ses conséquences sur le climat, les actions à la portée de chacun pour réduire sa propre empreinte.

 

FDN : un conseil pour clore notre échange ?

DB : même si le mot est souvent réfuté, voire banni, faire preuve de sobriété a un impact positif majeur sur notre environnement. Avons-nous besoin de changer d’équipements tous les ans, ou tous les deux ans, que ce soit à titre professionnel ou personnel ? Les mentalités vont devoir évoluer.

Autre conseil, même si le sujet se situe en marge de la CSRD : soucions-nous également de la biodiversité. Si ce point n’est pas à la Une des médias et qu’il est aujourd’hui difficile de mesurer les conséquences de sa diminution faute d’outils suffisamment performants, son impact sur la planète risque fort d’être plus important que ceux associés à l’augmentation de notre empreinte carbone.

« Chaque geste compte : agissons ! »

 

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